La résistance au changement, de quoi parle-t-on vraiment ?
« Lorsque le vent du changement se lève, il y a ceux qui construisent des murailles et ceux qui construisent des moulins à vent ». Ce proverbe chinois illustre assez bien la diversité des réactions face au changement dans les organisations humaines et en particulier dans le monde du travail. Nous nous concentrons dans cet article sur ces “murailles”, autrement dit la résistance au changement :
- Quelles en sont les causes sous-jacentes ?
- Sous quelles formes s’exprime-t-elle ?
- Comment la diagnostiquer ?
1 – Tout changement est générateur de craintes
Le changement peut être défini comme le passage d’un état à un autre pour un individu ou un groupe, dans une période de temps donnée. Il fait référence à toute modification, transformation ou évolution délibérées, apportées aux structures, aux processus ou à la culture d’une entreprise. Il s’agit généralement d’une initiative planifiée, visant à améliorer ou à ajuster un aspect particulier de l’entreprise : réorganisation des équipes, introduction de nouvelles technologies, mise en œuvre de nouvelles politiques ou encore modification de la manière de travailler.
Ce passage d’un avant à un après est générateur de craintes relatives aux impacts potentiels ou prévisibles sur les individus, leurs repères et les pratiques dans l’organisation. Divers facteurs psychologiques, émotionnels et organisationnels peuvent induire des sentiments d’incertitude et d’insécurité. Ces craintes peuvent découler de plusieurs sources, notamment :
- La peur de l’inconnu : les collaborateurs peuvent se sentir anxieux face à des situations nouvelles et imprévisibles car elles les éloignent de leurs habitudes.
- La perte de contrôle : les changements peuvent susciter des inquiétudes quant à la perte de contrôle sur les processus, les tâches ou les responsabilités, ce qui peut engendrer un sentiment de diminution de l’influence voire parfois de vulnérabilité.
- Les conséquences personnelles : les employés peuvent craindre que le changement entraîne des conséquences négatives pour eux, telles qu’une charge de travail accrue ou une diminution de la satisfaction au travail.
- L’impact sur la stabilité : les changements peuvent menacer la stabilité perçue d’une organisation, remettant en question les normes, les valeurs et la culture existantes, ce qui peut susciter des inquiétudes quant à la cohésion et à l’harmonie au sein des équipes.
- Les compétences requises : les individus peuvent craindre de ne pas posséder les compétences nécessaires pour s’adapter avec succès aux nouvelles exigences ou aux nouvelles technologies introduites par le changement.
Ces craintes qui alimentent les phénomènes de résistance, reflètent souvent une réaction naturelle, de la part des individus ou des groupes, face à la perturbation de leur environnement habituel ou à la remise en question de leurs pratiques établies.
2 – Comprendre et intégrer les jeux de pouvoir dans la conduite du changement
Parmi les précédentes sources de craintes, qui peuvent alimenter la résistance au changement, la perte de contrôle est certainement la plus difficile à appréhender du fait de la complexité des dynamiques de pouvoir et de l’incertitude inhérente aux structures bureaucratiques.
L’Analyse Stratégique des Organisations, de Crozier et Friedberg (1977), propose une approche individualiste de l’organisation. Elle met en évidence la manière dont les acteurs cherchent à préserver leur autonomie et leur influence au sein de l’organisation. Ceci se traduirait par l’apparition de jeux politiques internes visant à maintenir leur position dans la structure organisationnelle existante. L’organisation résulterait de l’ensemble des stratégies individuelles en friction. Chaque acteur tendrait à conserver et maximiser ses ressources de pouvoir dans son intérêt propre.
Parmi les ressources de pouvoir en interne, ils identifient :
- La maîtrise des règles, qui est la connaissance et la capacité à faire évoluer les règles en interne.
- L’expertise, qui est la détention de compétences clés et la capacité à les utiliser.
- L’information, qui est la détention d’informations clés et la capacité à les diffuser.
- Les réseaux, qui sont le pouvoir d’influence.
Leur travail met en lumière le rôle des acteurs individuels et des relations de pouvoir au sein des organisations, offrant ainsi une perspective clé d’analyse sociologique des résistances. Bien que suscitant des craintes, souvent peu exprimées et liées à une peur de perte de contrôle, l’influence des jeux de pouvoir reste trop souvent négligée dans les stratégies de gestion du changement.
3- Les différentes formes d’expression de la résistance au changement
Les phénomènes de résistance au changement peuvent revêtir de nombreuses formes, subtiles ou manifestes. Elles peuvent inclure l’inertie ou l’absence d’engagement, l’adhésion superficielle, l’opposition ouverte, jusqu’à une forme plus agressive de sabotage délibéré visant à entraver ou à perturber la mise en œuvre des initiatives de changements.
Quatre formes principales de résistance peuvent être mises en exergue (Carton, 1997) :
- Inertie : les collaborateurs ne protestent pas mais ne s’engagent pas activement dans le changement.
- Argumentation : les collaborateurs tendent à négocier sur le fond du projet (ses intérêts et bénéfices) et sa forme (la manière dont il est mené).
- Révolte : les collaborateurs adoptent un mode d’action plus virulent pour exprimer leur désaccord. Elle survient lorsqu’il y a impossibilité pour un individu d’ajuster sa réalité à celle du changement proposé. Cela peut passer par un recours à la hiérarchie, une demande de mutation, des actions syndicales, des mouvements de grève…
- Sabotage : les collaborateurs agissent de manière plus insidieuse pour contrer les meneurs du changement. Dans les faits, cela peut passer par la transmission de données erronées.
Ces différentes formes de résistance peuvent être présentes simultanément au sein d’une organisation et varier en fonction de la nature du changement, de la culture de l’entreprise et des perceptions individuelles face à la transition.
4- Les outils pour diagnostiquer la résistance
La résistance au changement, de sources diverses, protéiforme et propre à chaque acteur, nécessite une approche structurée et rigoureuse dans sa phase de diagnostic.
Parmi les outils régulièrement utilisés pour analyser ces résistances au sein des organisations, on retrouve fréquemment :
- Les enquêtes et questionnaires, permettant la collecte de données quantitatives et qualitatives pour évaluer les attitudes, les perceptions et les préoccupations des employés à l’égard du changement.
- Les entretiens individuels et de groupe, des moments d’échange approfondis avec les parties prenantes concernées par le changement pour comprendre leurs points de vue, leurs craintes et leurs suggestions concernant le changement.
- Les analyses des réseaux sociaux internes, pour observer les interactions entre les membres d’une organisation et comprendre la propagation des idées et la perception face au changement.
- L’analyse des impacts, consistant à évaluer et à anticiper les conséquences du changement sur les individus (Matrice OMOC Outil/Métiers/Organisation/Culture…).
- La cartographie des acteurs, permettant d’identifier les populations concernées par le changement, celles des alliés, de repérer les promoteurs et détracteurs.
Ces outils peuvent être utilisés de manière combinée ou séparée, pour obtenir une vision complète des attitudes et des obstacles à surmonter lors de la mise en place du changement au sein d’une organisation. Au-delà des outils, la posture et l’écoute des acteurs en charge du changement occupent une place centrale de la gestion de la résistance.
Conclusion
La résistance au changement est donc un phénomène intrinsèque à toute transformation au sein des organisations. Ses origines multiples, souvent ancrées dans la peur de l’inconnu, la perte de contrôle ou les jeux de pouvoir, sont autant de facteurs qui alimentent ce réflexe naturel. Comprendre cette résistance comme un mécanisme de défense peut être un point de départ pour réussir les transformations.
Au-delà de ses manifestations perçues comme des obstacles, la résistance au changement peut aussi être vue comme un signal positif. Elle est l’expression d’une démarche d’appropriation en cours et d’une forme de volonté de stabilité, un signe de résilience de l’organisation. Elle est souvent légitime, salutaire dans une certaine mesure. Elle nécessite bien souvent un diagnostic et un accompagnement adaptés afin d’assurer la tenue des objectifs de transformation des organisations.