Gestion de projet : Cascade, Agile, Hybride…et si on en parlait avec discernement ?
Depuis une décennie, l’agilité est devenue un véritable mot d’ordre dans les projets de transformation. Les entreprises, soucieuses de gagner en rapidité et en adaptabilité, ont massivement adopté les méthodes agiles, avec un engouement presque dogmatique, parfois sans réel discernement dans un monde qualifié un peu facilement de « VUCA1 » un acronyme devenu bien commode pour expliquer l’instabilité et l’imprévisibilité du monde qui nous entoure.
Dans cet engouement, les approches traditionnelles comme le cycle en V (modèle en cascade – Waterfall) ont parfois été reléguées au rang de solutions du passé. Pourtant, sur le terrain, les réalités sont bien plus nuancées : certains projets continuent de tirer profit de ces approches classiques et éprouvées, là où d’autres plongés parfois trop vite dans l’agilité, se heurtent à des difficultés faute de cadre adapté ou de maturité suffisante.
Alors, la méthode de gestion de projet est-elle un choix raisonné, dicté par les spécificités du contexte, ou un simple réflexe d’imitation ou de tendance ? Et si la véritable clé résidait non pas dans l’opposition des modèles, mais dans leur hybridation intelligente, au service des enjeux et des réalités du terrain ?
Cycle en V : la méthode fondatrice
Héritée des industries lourdes et de l’ingénierie logicielle, la méthode Cycle en V repose sur une structuration linéaire et séquentielle des phases du projet : expression du besoin, spécifications, conception, développement, tests, déploiement. Chaque étape est validée avant de passer à la suivante, dans une logique de maîtrise des coûts, des délais et de la qualité (Triangle d’or ou QCD). Cette méthode tire son nom de l’effet « cascade » (Waterfall) où chaque phase s’écoule dans la suivante, avec des livrables bien définis et une documentation exhaustive à chaque jalon. Les framework historiques de mangement de projet sont anglo-saxons. Les 2 plus connus sont le britannique Prince 2 et le PMP (Project Management Professional) issu des pratiques nord-américaine.
Parmi leurs principaux atouts, citons :
- Une vision d’ensemble claire et partagée dès le départ
- Une planification détaillée qui permet d’anticiper les ressources, les budgets et les délais
- Une gestion du risque facilitée par des engagements contractuels bien définis
- Une traçabilité forte des décisions, des exigences et des livrables
Cette approche est particulièrement adaptée aux projets où les exigences sont stables, peu sujettes à changement, ou bien lorsqu’un haut niveau de conformité est requis (projets réglementaires, migrations techniques, déploiements d’infrastructures critiques, intégrations complexes avec des systèmes existants).
Cependant, ses limites sont tout aussi structurantes :
- Risque d’effet tunnel, avec une première valeur métier visible uniquement en fin de projet
- Faible flexibilité face aux imprévus ou aux évolutions de contexte
- Difficulté à intégrer les retours utilisateurs au fil du projet, ce qui peut créer un décalage entre le besoin initial et la solution livrée
Malgré cela, elle demeure un socle fondamental pour de nombreux projets. Elle apporte une rigueur précieuse dans des environnements complexes ou sensibles, où l’incertitude doit être réduite au maximum avant de démarrer le développement.
L’agilité : une révolution comportementale plus que méthodologique
Les méthodes agiles, portées par le Manifeste Agile en 2001, ont profondément transformé la manière de gérer les projets. En mettant l’accent sur la satisfaction du client, l’adaptation au changement et la collaboration continue entre les parties prenantes, l’agilité propose une alternative résolument centrée sur la valeur.
Les frameworks les plus connus comme Scrum, Kanban, ou encore SAFe ou LeSS pour ceux « à l’échelle ». Ils organisent le travail autour de cycles courts, avec des livraisons fréquentes de produits potentiellement utilisables. On parle alors d’« incrément de valeur » plutôt que de livrable final. Cette approche réduit les effets tunnel, tout en permettant d’ajuster rapidement le cap en fonction des retours utilisateurs.
L’agilité apporte plusieurs bénéfices clés :
- Une mise en marché accélérée grâce à des itérations courtes
- Une meilleure alignement avec les besoins métiers évolutifs
- Une implication renforcée des parties prenantes (métiers, utilisateurs, sponsors)
- Un renforcement de la motivation des équipes grâce à l’autonomie et la transparence
Mais l’agilité est avant tout une transformation culturelle. Elle repose sur des principes forts : acceptation de l’incertitude, droit à l’erreur, amélioration continue, intelligence collective. C’est pourquoi sa mise en œuvre réussie suppose :
- Une évolution des modes de management, moins directifs et plus facilitateurs
- Une gouvernance adaptée aux temporalités agiles
- Une montée en compétence progressive des équipes (produit, tech, organisation)
Autrement dit, l’agilité ne se décrète pas : elle se construit, pas à pas, dans un environnement qui favorise l’apprentissage, la confiance et l’expérimentation. Elle ne peut être réduite à un simple choix de framework ou d’outillage. Elle interroge en profondeur les pratiques de pilotage, les postures managériales, et même la culture d’entreprise.

Le piège du « tout agile » : entre idéologie et perte de repères
À mesure que l’agilité s’est imposée comme un standard, une nouvelle forme de dérive a vu le jour : celle d’une adoption dogmatique, parfois plus cosmétique que réelle. Nombre d’organisations se sont lancées dans des transformations agiles à marche forcée, poussées par des effets de mode, des injonctions venues du top management, ou une volonté de « faire comme les autres », sans toujours comprendre les véritables implications de ces méthodes.
Dans ces contextes, l’agilité devient un slogan vidé de son sens. On adopte des rituels Scrum (Daily meetings, Sprints, revues) sans en maîtriser l’esprit. On renomme les chefs de projet en « Product Owner » sans leur redonner le pouvoir de décision produit. On supprime les jalons et la documentation au nom de la flexibilité, sans repenser les mécanismes de pilotage.
Ce qu’on observe alors :
- Des équipes déstabilisées par l’absence de cadre clair et de responsabilités définies
- Une gouvernance affaiblie, qui rend difficile l’arbitrage ou la priorisation stratégique
- Un pilotage budgétaire hasardeux, sans visibilité à moyen terme
- Des livraisons fréquentes mais fragmentées, sans cohérence d’ensemble
- Une lassitude des parties prenantes métiers, confrontées à une pression continue d’engagement sans plan d’ensemble
Le résultat ? Un paradoxe : des projets qui se veulent agiles mais qui stagnent, tournent en rond, ou peinent à délivrer une valeur tangible. Le sentiment d’inefficacité s’installe. La confiance s’érode.
Ce piège du « tout agile » découle souvent d’une confusion entre souplesse et absence de structure, entre autonomie et abandon, entre itération et improvisation. Il repose aussi sur un oubli fondamental : l’agilité n’est pas une méthode miracle, mais un cadre exigeant, qui ne peut fonctionner sans engagement fort, vision partagée, et discipline collective. L’agilité réussie est celle qui s’adapte aux équipes, aux projets, et non l’inverse. Elle se construit, elle s’apprend, elle s’expérimente — elle ne s’impose pas.
Dans certains cas, un retour à davantage de rigueur, de planification, documentation, jalons intermédiaires s’avère salutaire. Il ne s’agit pas de renier l’agilité, mais de lui redonner du sens en la réinscrivant dans un cadre clair, adapté au niveau de maturité de l’organisation. L’expérience montre que certaines pratiques issues du Waterfall conservent toute leur pertinence. Elles apportent un cadre nécessaire à la sérénité des projets, notamment lorsqu’ils impliquent de nombreux acteurs, des enjeux financiers importants ou des contraintes fortes.
Vers une hybridation raisonnée : le meilleur des deux mondes
L’hybridation méthodologique consiste à bâtir un cadre de pilotage sur-mesure, en sélectionnant les briques les plus pertinentes des approches classiques et agiles pour répondre aux spécificités de chaque projet. Il ne s’agit plus de choisir entre Waterfall ou Agile, mais de penser en termes d’objectifs, de maturité des équipes, de temporalités, et de contraintes propres à l’organisation. Il ne s’agit pas d’opposer rigueur et flexibilité, mais de les combiner intelligemment.
Un projet peut par exemple :
- Commencer par une phase de cadrage rigoureuse et linéaire, inspirée du Waterfall, pour clarifier les enjeux, les dépendances, les coûts et les jalons critiques
- Enchaîner sur des cycles de développement agiles pour favoriser la co-construction, la réactivité aux retours utilisateurs et une mise en production progressive
- S’appuyer sur une gouvernance transverse classique, avec des comités formels, un PMO et des indicateurs consolidés, tout en laissant de l’autonomie aux équipes sur le delivery
Les modèles hybrides se déclinent aujourd’hui sous de multiples formes : V-modèle agile, cycle en spirale, cycle en Y, ou encore frameworks comme SAFe enrichis d’instances de gouvernance classique. Par ailleurs, les référentiels historiques de gestion de projet (PMI, Prince2, etc.) ont eux aussi évolué pour intégrer les apports de l’agilité, tant en termes de posture que de pratiques. Leur dénominateur commun ? La recherche d’un équilibre subtil entre structure et flexibilité, entre vision stratégique de long terme et capacité d’adaptation continue, entre rigueur budgétaire et création de valeur métier tangible.
Cette hybridation est particulièrement pertinente dans :
- Les programmes d’envergure avec de multiples chantiers et acteurs
- Les environnements réglementés ou contractuels où certaines étapes doivent être formalisées
- Les organisations en phase de transition, pas encore matures sur l’agilité
- Les contextes où les attentes de reporting et de visibilité sont fortes côté sponsors
Mettre en œuvre une approche hybride réussie demande avant tout la capacité à décoder les véritables besoins du projet, au-delà des méthodes affichées. Cela implique également une compréhension fine des pratiques agiles comme des approches plus classiques, afin de savoir les articuler de manière pertinente. Enfin, un accompagnement au changement est essentiel, notamment sur les rôles, les responsabilités et les postures des parties prenantes, pour favoriser l’adhésion et assurer la cohérence des dynamiques de travail.
Conclusion
Il n’existe pas de méthode universelle, mais des cadres à adapter avec intelligence et pragmatisme. Waterfall, Agile, ou hybride : chacune de ces approches possède ses atouts, mais leur efficacité dépend surtout de leur adéquation avec le contexte, les enjeux et la maturité des équipes. La véritable compétence aujourd’hui ne réside plus dans la maîtrise d’un modèle unique, mais dans la capacité à diagnostiquer, à ajuster, et à faire évoluer les pratiques au fil du temps.
Car la gestion de projet, tout comme les organisations, est un chemin d’apprentissage continu. La maturité méthodologique ne se décrète pas : elle se construit dans la durée, à travers des retours d’expérience, des feedbacks réguliers, et une volonté partagée d’amélioration continue. Cela suppose de s’autoriser à tester, à ajuster, à capitaliser et surtout, à remettre en question les cadres en place quand ils ne servent plus la performance collective.
Chaque projet est une aventure singulière, avec ses objectifs, ses contraintes et son niveau de maturité propre. C’est pourquoi nous croyons à la nécessité d’un accompagnement sur mesure, fondé sur l’écoute, l’analyse contextuelle et l’intelligence collective.
Chez SK Consulting, nos consultants sont formés aux principales méthodes de gestion de projet et interviennent dans des environnements variés : grands programmes réglementaires, projets agiles à fort enjeu métier, contextes multi-projets, ou encore organisations en phase de structuration. Cette diversité d’expériences leur permet de prendre du recul, de décrypter les leviers de réussite, de structurer et d’animer des cadres de pilotage efficaces et adaptés au contexte, au service des équipes accompagnées et des ambitions de transformation.
- VUCA : « VUCA » est l’acronyme de Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity. En français « Volatilité, Incertitude, Complexité et Ambiguïté » ↩︎