Réussir la co-construction de son plan stratégique
Introduction
Nous développons dans cet article les conditions de réussite d’une démarche de co-construction d’un plan stratégique au sein d’une organisation. Nous aborderons l’importance de l’implication des différents niveaux hiérarchiques de l’entreprise, les conditions favorables pour une collaboration qualitative et la nécessaire sincérité de l’engagement de la démarche de co-construction.
Cet article fait suite au précédent article « La co-construction, facteur clé de réussite d’un plan stratégique » sur le même thème qui évoque les concepts et définition du plan stratégique d’entreprise, les étapes clés de sa construction, et développe la démarche de co-construction et ses bénéfices.
Les conditions d’une co-construction réussie
Impliquer tous les niveaux de l’organisation, à tous les stades de la construction du plan stratégique
- L’importance du rôle des dirigeants dans la construction du sens, de la vision :
Les dirigeants jouent un rôle prépondérant dans la construction de la vision qui relève généralement du périmètre du Comité de Direction. Néanmoins, l’animation d’un processus de construction collective peut intervenir à différents niveaux de la phase de conception de la vision.
- La construction de la vision par les dirigeants peut se faire sur la base d’un partage et de la co-construction en amont d’un diagnostic stratégique.
- La vision peut aussi être construite sur la base d’orientations proposées par les collaborateurs avec soit une prise de décision assumée par le dirigeant ou un vote des collaborateurs parmi les propositions de vision leur étant soumises.
Conviction et vision du dirigeant
Jérôme LE SAINT, EDF
« Je pense que c’est au dirigeant de construire une vision. Il peut le faire, en amont, sur la base d’un partage et de la co-construction d’un diagnostic. Mais à la fin, de toute façon, il y a des choix à faire et il n’y a alors que le dirigeant qui peut donner cette vision. A un moment donné, ça passe par la conviction et la vision du dirigeant, même si elle a pu être élaborée à plusieurs au départ. Tout simplement parce que c’est dur, et parfois impossible, d’avoir un consensus. […] »
Truong, O., Jaidi, Y., Storch, O. et De Geuser, F. (2022) . Partie 3. Les solutions pratiques ou comment construire le sens ensemble. Panne de sens Manager pour qui, pour quoi, comment ? ( p. 69 -118 ). Dunod. https://shs.cairn.info/panne-de-sens–9782100833023-page-69?lang=fr.
L’embarquement des collaborateurs dès le début de la conception du plan stratégique va permettre de mobiliser l’envie et l’engagement dès la vision du plan stratégique afin de préparer l’appropriation et la mise en œuvre des décisions prises. Cette association des collaborateurs au plus tôt de la conception du plan stratégique constitue un véritable atout dans la mise en œuvre d’une stratégie de conduite du changement.
- Une co-construction à géométrie variable, adaptée au niveau de maturité de l’entreprise :
Généralement, les collaborateurs sont impliqués plus largement lorsqu’il s’agit de construire les modalités d’atteinte de l’ambition. Là aussi, le processus collaboratif peut être différent d’une entreprise à l’autre et impliquer plus ou moins largement les collaborateurs en fonction de la culture d’entreprise, de son niveau de maturité sur l’approche collaborative, de ses ressources disponibles à allouer à la co-construction ou d’autres considérations qui lui sont propres.
Ainsi, la mobilisation peut s’effectuer sur tout ou partie du plan stratégique, embarquer l’ensemble ou un cercle plus restreint de collaborateurs, orienter les travaux des équipes grâce à un cadre de co-construction plus ou moins contraignant. On pourrait imaginer par exemple orienter la réflexion des équipes en leur mettant à disposition un panorama des idées créatives mises en œuvre sur le marché.
Certaines entreprises peuvent en effet faire le choix d’embarquer uniquement le Codir dans la co-construction et d’autres peuvent associer plus largement les managers, l’ensemble des collaborateurs, les élus voire les prestataires et les clients à l’instar du Groupe La Poste pour la construction de son nouveau plan stratégique La Poste 2030.
Un plan stratégique co-construit
La Poste a fait appel à l’ensemble de ses parties prenantes (postiers, clients, élus, associations, fournisseurs, start-up et partenaires) pour recueillir leurs avis à travers une grande démarche participative lancée en septembre 2020. Pendant 3 mois, 4 conférences citoyennes ont été organisées à Nantes, Toulouse, Lille, Lyon et la plateforme digitale 2030.laposte.fr ont permis d’écouter plus de 142 000 personnes sur leurs besoins et leurs attentes en matière de services postaux de demain. Toutes ces contributions sont venues nourrir le nouveau plan stratégique de La Poste.
https://www.lapostegroupe.com/fr/la-poste-2030-engagee-pour-vous
- Assurer une transparence de la démarche vis-à-vis de toutes les parties prenantes :
La transparence et la visibilité données à l’ensemble des parties prenantes du projet d’entreprise est une condition de réussite de la co-construction.
D’une part, la gestion de l’asymétrie d’information, qui peut se créer entre les collaborateurs en fonction de leur participation aux phases de co-construction, est un enjeu clé de la gestion du changement. En effet, l’ensemble du collectif n’est pas entièrement embarqué et ce, pour diverses raisons comme le manque de temps, la continuité d’activité, le nombre de places limité, l’intérêt divergeant…
D’autre part, une phase d’engouement des différentes parties prenantes, dans cette partie active de la co-construction, peut se solder par une baisse de l’engagement souvent due à un manque de visibilité sur la suite de la démarche.
Pour pallier ces risques et assurer la continuité de la dynamique, il est crucial de nommer des pilotes de projets, d’assurer une transparence de l‘état d’avancement de la démarche, par des communications internes, et de mettre en place des victoires rapides, pour s’appuyer sur des premières avancées concrètes.
Faciliter la collaboration pour une co-construction qualitative
- Un bon niveau d’expertise et un équilibre dans la constitution des équipes :
Il convient d’apporter un soin particulier à la constitution des équipes si l’on souhaite s’assurer une co-construction qualitative. Elle peut s’effectuer sur la base du volontariat, ce qui permet de garantir l’engagement et la motivation des participants. Pour autant, il faut veiller à la présence d’experts indispensables en fonction de l’axe stratégique adressé par la co-construction, à une bonne représentativité des différents métiers, à différentes catégories de collaborateurs et à la capacité des membres à s’exprimer ouvertement au sein de l’équipe ainsi constituée (absence de lien hiérarchique direct entre les participants).
Cette diversité des profils a comme vertu de favoriser l’interconnaissance des différentes parties prenantes et d’encourager la communication et la compréhension même au-delà du plan stratégique.
Il peut être intéressant d’assurer une continuité dans la co-construction en impliquant les mêmes participants aux différents ateliers. Cette précaution apporte un double bénéfice en évitant de devoir répéter les mêmes débats et en permettant au collectif d’atteindre une maturité sur les sujets traités. En revanche, une exception peut être faite pour les ateliers feedbacks que nous allons évoquer plus bas, dans la mesure où ils doivent permettre une prise de recul et nécessitent pour cela le regard neuf d’un autre groupe.
Toujours dans la perspective d’assurer une co-construction de qualité, le rôle des sponsors ne doit pas être négligé et il est primordial de les accompagner dans la maîtrise du cadre de la co-construction donné aux équipes.
- Des modalités de travail collaboratif variées et adaptées à l’objectif poursuivi :
Il existe de nombreuses modalités permettant de favoriser le travail collaboratif : appel à idées, brainstorming, atelier de co-construction, atelier de créativité, etc. S’il existe une telle variété de formats, c’est que chacun suit un objectif particulier. Il importe donc de choisir les pratiques collaboratives adaptées aux objectifs poursuivis et idéalement de pouvoir s’appuyer sur des facilitateurs aguerris aux techniques de facilitation et de médiation.
Une grande tendance se dégage des projets d’entreprise que nous avons accompagnés : un « effet entonnoir » autour de la matière co-construite.
Cette grande tendance met en avant que le dispositif de co-construction est une alternance entre la mobilisation de l’intelligence collective et des temps d’analyse de la matière.
Derrière ce travail d’analyse et de synthèse se cache l’enjeu clé de la traçabilité de la matière co-construite afin de ne pas perdre l’historique et le cheminement des idées. Ce travail de synthèse est toutefois indispensable afin de ne pas tomber dans l’excès inverse : la stagnation dans la phase d’idéation sans structuration de la matière.
- L’usage d’outils appropriés permettant de faciliter la participation :
Un certain nombre d’outils collaboratifs vont permettre de faciliter la co-construction. Certains logiciels de gestion sont même spécialement dédiés à la co-construction de plans stratégiques.
Ces outils permettent non seulement de formaliser et de structurer la stratégie d’une entreprise, mais aussi de favoriser la participation active des équipes, assurant ainsi une meilleure adhésion et une mise en œuvre plus efficace des plans stratégiques.
Si les outils disponibles sur le marché facilitent le travail collaboratif pour un grand nombre de participants et donnent la possibilité d’animer de façon interactive des ateliers à distance, nous préconisons toutefois la réalisation d’au moins une partie de la co-construction en présentiel sur des moments clés, ce qui assure un meilleur embarquement des équipes.
Adopter une démarche sincère
La sincérité et l’authenticité dont vont faire preuve les dirigeants et les managers dans la démarche collaborative va permettre un engagement fort et durable des collaborateurs dans la co-construction du plan stratégique.
Dans plusieurs études1, il a été en effet démontré que les collaborateurs se mobilisent et participent d’autant plus à la transformation si les dirigeants et les managers sont exemplaires et se mobilisent eux-mêmes. L’exemplarité des pratiques managériales permet le déploiement de la notion de sens dans l’entreprise.
L’adage « faire ce que l’on dit et dire ce que l’on fait » prend tout son sens dans cette démarche et les collaborateurs s’attacheront plus aux actes observés qu’aux discours tenus par les dirigeants et les managers. La volonté de co-construire le plan stratégique ne doit pas être un vœu pieux mais doit se traduire en actes concrets. L’absence de participation et de consultation effective des collaborateurs risque d’appauvrir la communication voire de bloquer la parole des collaborateurs. Une démarche qui ne serait pas sincère et authentique pourrait produire l’effet inverse à celui recherché et générer un mal-être généralisé au sein de l’entreprise, empêchant l’émergence de sens pour les collaborateurs.
1 Marc Traverson, « L’exemplarité, inévitable outil du management », Les Echos, 24 juin 2013 ; Tessa Melkonian, Pourquoi les managers doivent-ils être exemplaires, HBR, 13 octobre 2015 ; Tessa Melkonian, Pourquoi un leader doit être exemplaire, PUG, 2019.
Conclusion
En synthèse, co-construire son plan stratégique assure une mise en œuvre efficace et durable d’une stratégie ambitieuse et réaliste. La co-construction implique davantage les parties prenantes du projet d’entreprise avec comme bénéfices la motivation et l’engagement, la créativité et l’innovation, la compréhension et l’appropriation.
Pour qu’une co-construction soit réussie, plusieurs conditions doivent être remplies à commencer par la sincérité de l’engagement de la démarche. De plus, en fonction du niveau de maturité et de la culture de l’entreprise, elle peut impliquer les parties prenantes à différents niveaux et à plusieurs stades d’élaboration du plan stratégique. Enfin, elle s’ancre sur des modalités de travail collaboratif variées et adaptées à l’objectif poursuivi, en s’appuyant sur des équipes de profils variés et des outils appropriés.
Au-delà de son objectif de formalisation d’un projet d’entreprise, la co-construction est un moyen concret pour engager une véritable transformation culturelle au sein des entreprises. C’est un levier de transformation efficace pour mettre en place ou renforcer des processus d’acculturation et de changements de méthodes managériales allant même parfois jusqu’à la pérennisation de communautés internes de facilitateurs.