IA et conformité : un levier sous-exploité dans les banques et assurances ?
Aucune banque ni compagnie d’assurance n’a été créée pour cocher des cases et remplir des formulaires. Au contraire, ces sociétés sont vues et se voient comme de véritables partenaires de la vie de leurs clients, professionnels et particuliers.
Mais il suffit de manquer une case, un formulaire, de ne pas se conformer à une réglementation que tout vacille : confiance des clients, du régulateur, réputation. En cela, bien pilotée, l’IA peut transformer le suivi de la conformité en levier de performance et plus en charge. Encore faut-il penser l’IA comme un outil d’alignement, pas comme un gadget de contrôle.
Cet article explore une vision renouvelée de la conformité, celle d’une conformité augmentée par l’IA, non plus perçue comme une contrainte, mais comme un levier stratégique qui éclaire les risques, guide les décisions et renforce la gouvernance, notamment dans des environnements critiques comme la banque ou l’assurance.
1. Une conformité toujours plus exigeante et plus complexe
LCB-FT, DDA, RGPD, SFDR, DORA, Sapin 2, Solvabilité II, obligation de vigilance. Chaque sigle ajoute une ligne de contrôle. Les chocs de simplification aboutissent le plus souvent à de nouvelles réglementations, jamais à de réelles fusions de réglementations.
Pour les banques et les assureurs français, la conformité n’est plus un sujet juridique. C’est un sujet d’exécution,… et d’exposition.
Chaque texte touche une brique différente :
- LCB-FT contrôle les flux financiers et leur origine afin de lutter contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent
- DDA surveille les pratiques commerciales.
- RGPD protège les données personnelles.
- SFDR trace la durabilité des produits financiers proposés par les établissements financiers
- CSRD étend et renforce les exigences de reporting en matière d’ESG
- DORA envise à renforcer la résilience opérationnelle des acteurs financiers en mettant la focale sur les risques de cybersécurité et la continuité des services
- Sapin 2 traque les conflits d’intérêts.
- Solvabilité II vérifie la robustesse financière.
- L’obligation de vigilance oblige à savoir exactement avec qui l’on travaille.
Ces réglementations renforcent la robustesse des organisations, mais pour les sociétés qui y sont soumises, cela peut bien souvent être perçu en grande partie comme « simplement » un ensemble de vérifications supplémentaires. Un client mal référencé. Un tiers non évalué. Un document non archivé…. et la chaîne de conformité peut plier en interne comme face au régulateur.
Dans ce cadre, l’enjeu opérationnel consiste, comme bien souvent, à accéder de manière fluide et ordonnée aux données. Cependant, elles sont trop souvent dispersées, dupliquées, pas toujours tenues à jour. Les systèmes ne communiquent pas. Les outils s’empilent. Les silos résistent. Les API ne fonctionnent pas sans friction …
Et pendant ce temps, les équipes, elles, endurent. Des heures à recouper des fichiers, relancer les métiers, produire des justificatifs à la main. Des tableaux de suivi en cascade. Des alertes qui s’accumulent. Des relances non qualifiées. Des tiers qui ne comprennent pas pourquoi on leur demande des informations qui paraissent intrusives et, pour ne rien arranger, les documents demandés sont bien souvent communs à plusieurs réglementations et demandés à plusieurs reprises par chaque responsable au sein de l’institution bancaire ou assurantielle.
Le pilotage de la conformité en devient réactif. L’effort disproportionné. L’analyse secondaire. Personne ne sait exactement où sont les écarts ni comment les prioriser et les frustrations se font jour tant en interne que vis-à-vis des clients.
Et l’audit approche toujours trop vite. Sans historique clair. Sans preuve consolidée. Sans capacité d’anticipation.
Ce n’est pas la norme qui étouffe.
C’est le temps passé à prouver qu’on la respecte.
Et l’impossibilité de s’en servir pour mieux piloter l’entreprise.
2. Ce que l’IA permet déjà de faire concrètement
Quand les équipes conformité passent près de 70 % de leur temps à chercher l’information, il ne reste plus grand-chose pour utiliser cette information comme un moyen d’améliorer les opérations. L’IA n’enlève pas la contrainte. Elle la transforme, comme on peut le voir à travers quelques exemples concrets :
Automatisation des processus KYC / KYB
Chaque entrée en relation débute par la récolte d’information et la constitution d’un dossier d’informations conforme aux exigences KYC/KYB. Avec l’IA, les justificatifs peuvent être lus, analysés, classés automatiquement voire directement récupérés de bases de données partenaires. Un justificatif de domicile est reconnu, un KBIS est retraité, les informations sont extraites, vérifiées, comparées. Le scoring de risque peut être calculé et mis à jour en temps réel. Moins d’erreurs humaines et de délais dans le cadre d’une entrée en relation. Et surtout, une traçabilité immédiate, exploitable lors d’un audit.
Surveillance continue des tiers
Les fournisseurs, distributeurs, délégataires, prestataires peuvent ne plus être vérifiés une fois par an et par échantillons. En effet, grâce aux outils soutenus par l’IA, il est possible de croiser les données en continu : bases sanctions, registres PEP, alertes légales … Un changement de statut, une alerte presse, une incohérence déclarative : l’écart remonte. C’est la donnée qui vient à l’équipe conformité, pas l’inverse.
Audit et reporting automatisés
Fini les fichiers Excel plein de macros et reposant sur la connaissance historique d’un collaborateur depuis longtemps parti vers d’autres horizons au sein du groupe. Terminées, les base de données SQL bricolés à la dernière minute pour les contrôleurs internes ou l’ACPR
Les indicateurs peuvent être générées et extraites en continu.
Les historiques d’actions sont horodatés, vérifiables, prêts à être restitués.
Chaque action est traçable. Chaque décision, documentée.
Le stress du contrôle diminue. Le temps gagné est réinvesti dans l’analyse et l’apport de valeur auprès des directions métiers, génératrices de chiffres d’affaire ou de PNB.
Détection de comportements atypiques
Ce que l’humain ne voit pas sans un regard très attentif, l’IA peut le capter :
- Des transferts fractionnés, des patterns inhabituels, des comportements suspects dans les accès aux données internes.
- Des modèles d’IA comportementale détectent ces signaux faibles.
Non pas pour punir. Mais pour comprendre, anticiper, prévenir et définir des plans de mitigation des risques ou de décommissionnement lorsque ce risque devient trop présent. C’est une conformité qui ne subit plus : elle observe, elle apprend, elle alerte, elle devient garante de la bonne conduite des opérations.
Gouvernance et qualité de la donnée de conformité
L’IA ne fonctionne que si les fondations sont saines.
C’est aussi un levier pour nettoyer, réconcilier, structurer les données.
Elle repère les doublons, identifie les incohérences entre systèmes, alerte sur les données obsolètes.
Elle force à poser des règles de gestion. À documenter. À fiabiliser.
Evidemment, l’IA ne remplace pas les équipes. Elle s’appuie sur les forces du collectif pour transformer la conformité en équipe survitaminée. Elle enlève le bruit pour laisser place à l’analyse. Elle automatise la preuve pour libérer le jugement. Ce n’est pas une magie noire. C’est une mécanique d’efficience. Une mécanique qui, bien réglée, rend la conformité utile, voire stratégique.
3. L’IA ne fait pas tout. Et surtout pas sans cadre.
La conformité automatisée est séduisante sur le papier. Mais sans fondations solides, formations des équipes, accompagnement au changement ou partage de l’information de gestion, elle devient un amplificateur d’instabilité.
Comme dans le cadre d’une transformation digitale, il est tentant mais contreproductif de partir de l’outil pour définir la stratégie, quitte à en oublier toutes les choses efficaces déjà en place dans l’organisation. Ainsi, il est important de s’auto-diagnostiquer et de s’appuyer sur les points forts tout en gardant en tête un certain nombres d’écueils et limites, dont la liste ci-dessous est un exemple, non exhaustif.
Garbage in, garbage out. Rien de nouveau.
Une donnée non fiabilisée, une règle non définie, un référentiel non partagé : l’IA les utilisera comme s’ils étaient justes. Et propagera l’erreur à grande échelle. La qualité de la donnée reste un point de friction majeur. Des tiers non harmonisés, des statuts mal qualifiés, des historiques incomplets : impossible de bâtir une chaîne de conformité robuste sans gouvernance claire.
Personne ne veut d’une boîte noire qui décide seule.
Un modèle d’IA qui ne peut pas être expliqué ne peut pas être défendu. Or, face au régulateur, ce qui compte ce n’est pas l’algorithme. C’est la capacité à justifier une décision, à documenter une action, à prouver une intention.
La conformité automatisée n’exonère pas de responsabilité. Elle oblige à renforcer la traçabilité. À outiller la preuve. À documenter les arbitrages.
La finalité étant de pouvoir procéder à une analyse, à revenir au sens premier de « reporting », c’est-à-dire, la production d’un rapport qui sera parlant, didactique et compréhensible des destinataires.
La finalité est ici de pouvoir activer les données via des analyses permettant de renforcer l’efficacité opérationnelle des organisations.
Il est intéressant de noter qu’HSBC a mis en place des comités d’éthique de l’IA qui supervisent la mise en œuvre des décisions appuyées par l’IA, afin de pouvoir apporter transparence et chemin d’audit au régulateur.
L’IA n’est pas neutre. Elle doit rester éthique.
Protection des données personnelles, biais algorithmiques, surveillance excessive : l’utilisation de l’IA dans la conformité doit s’articuler strictement avec les exigences du RGPD.
Ce n’est pas un sujet de performance technique. C’est un sujet de confiance. Si l’on pousse la réflexion plus loin, on peut voir la gestion et protection des données comme une application concrète et utile à l’institution d’une norme telle que RGPD. Ceci montre encore un peu plus la nécessité de penser à une gouvernance alignée entre tous les départements et experts.
Sans alignement interne, la promesse technologique échoue.
Aucune IA ne résoudra les tensions entre la DSI, la conformité, les métiers et les filiales. Elle les révélera. Brutalement.
Les cas d’usage ne peuvent pas être imposés depuis le siège, sans aligner les marques, les directions, les experts de réglementation, le terrain.
Ce sont les règles du jeu qui doivent être définies en amont : Qui décide ? Qui qualifie ? Qui valide ? Qui pilote la donnée ? Quels sont les processus d’escalade ?
Sans cette gouvernance partagée, chaque entité développera ses propres règles, ses propres alertes, ses propres outils. Et l’illusion d’un pilotage unifié s’effondrera au profit d’un maintien voire d’un renforcement des silos, le tout alimenté par des outils soutenus par IA et l’on pourrait entrer dans une boucle d’inefficience accrue.
L’IA ne remplace pas l’intelligence métier.
Elle oblige à la clarifier, à la documenter, à l’aligner.
C’est ce qui la rend utile, …ou risquée.
Conclusion : Et si la conformité devenait un atout de pilotage ?
Les outils ayant recours à l’IA ne valent rien s’ils ne font que reproduire des tâches. L’IA prend tout son sens quand elle éclaire les décisions, alerte sur les dérives, trace les engagements. Elle devient un outil de pilotage stratégique. Pas un gadget de plus à surveiller, mais une brique structurante du pilotage des risques, des tiers, des processus. Pas un robot de contrôle, mais un levier de résilience réglementaire.
Encore faut-il changer de regard. Ne plus penser « couverture » mais « gouvernance ». Ne plus poser la question du seuil de tolérance, mais de la capacité à décider vite, en confiance. Les organismes financiers qui auront su structurer ces usages, poser les règles du jeu, aligner les acteurs,
verront la conformité cesser d’être un centre de coût pour devenir un centre de gravité.
Alors oui, l’IA peut transformer la conformité. Mais aucune technologie ne produit d’impact sans transformation humaine. La vraie transformation commence ailleurs, au cœur de l’organisation elle-même. Ainsi, si l’on souhaite résumer en 3 actions concrètes, les acteurs financiers peuvent d’ores et déjà :
- Procéder à une évaluation de leur infrastructure et organisation actuelle afin de voir où se situent les points de friction mais surtout les forces.
- Former leurs équipes aux principes fondamentaux et aux cas d’usage précis de l’IA dans le cadre de l’activité de pilotage de la conformité
- Lancer des pilotes afin de tester, à l’échelle d’un type de tiers, des processus spécifiques et adapter en conséquence l’organisation par la suite.
Et si la conformité devenait enfin un levier d’innovation organisationnelle au sein des institutions bancaires et compagnies d’assurances ?